N. SCOTT MOMADAY
LA MAISON DE L'AUBE
(HOUSE MADE OF DAWN)
traduit de l'anglais (américain) par Daniel Bismuth
Préface à l'édition française d'Yves Berger

Première grande voix indienne par l'écrit, N. Scott Momaday obtint en 1968 pour ce roman le Prix Pulitzer. Premier grand roman pour cette collection qui inaugura une telle thématique exclusive, La Maison de l'aube attendit - pour ce qui concerne la France - 23 années pour être traduit.

préface capitale d'Yves Berger, confère au chef-d'oeuvre une particularité qu'aucune autre traduction de ce texte dans une autre langue n'apporte. L'intervention d'un des écrivains français des mieux connus pour son perfectionnisme et sa passion de la langue et qui, outre ces deux points, est l'un des auteurs mythiques à l'endroit des Indiens depuis le milieu des années 60, est plus qu'une préface qui présente : elle est une oeuvre nécessaire à l'introduction du chef-d'oeuvre. Il paraît donc évident que cette préface unique devrait être traduite dans les éditions étrangères y compris… américaine !

premier livre d'un jeune indien kiowa/cherokee a changé toutes les données quant à la perception que d'aucun pouvait avoir des Indiens en général, ceux d'hier comme d'aujourd'hui. texte dense est une interrogation douloureuse sur l'identité indienne contemporaine. Il est aussi une musique exceptionnel des mots et de la façon de les assembler. C'est une oeuvre d'art et l'auteur est un grand architecte.

récit est constitué de plusieurs morceaux imbriqués ; tantôt d'un narrateur qui nous fait suivre Abel, le « héros », tantôt de la voix d'autres personnages, tantôt les bribes de notes ou d'articles de presse ou de mythes indiens, ou d'un journal d'un prêtre missionnaire.est un jeune indien navajo. Par son grand-père, Francisco, il est initié à la vie sauvage/primal à la fois en accord physique de sa perception mais surtout sur le plan mental et… peut-être spirituel : un rapport intense avec la nature, les animaux, la chasse, les grands paysages du Sud-Ouest américain, la spiritualité émanant de ces relations harmonieuses ; les chants sacrés, les rites secrets, le peyotl et l'histoire du peuple, de son peuple. Mais sa vie est tiraillée entre deux monde. Le monde indien, fort et magique, traditionnel et enraciné, sûr, équilibré et le monde américain contemporain : violence, pertes des repères, perte du moyen de nommer les endroits originaux, de reconnaître, de se reconnaître, sexe et discours des prêtres missionnaires d'une spiritualité dont les applications sont aux antipodes de la vision indienne du monde.

nous est montré dans sa tentative de décrypter deux univers et du coup, l'univers indien n'est pas décrit comme archaïque et dépassé mais comme toujours vivace, profondément actuel, d'avant-garde tant que les hommes porteront en eux cette culture. C'est l'histoire de la fin d'un monde - la misère, certains aspects difficiles de la vie sur les réserves est plusieurs fois évoqué -, le grand-père d'Abel meurt à la fin du livre, mais c'est aussi l'histoire, l'avènement d'une Aube.

lecture de l'ouvrage est une plongée, un envoûtement : le texte semble ne pas cesser de s'accélérer jusqu'à sa fin qui est un début. Il porte à la fois une tristesse infinie et une grande douleur, et à la fois une jubilation d'évocation poétique. Le style, précis, fouillé, au vocabulaire très riche, sait « changer de voix » selon qu'on suit un personnage ou un autre, ou selon qu'on est dans le fil du récit ou dans les notes d'illustrations que sont ceux du grand-père, un extrait du journal, une explication ethnographique sur l'usage du peyotl, sur les mondes navajo, pueblo ou kiowa. Momaday sait habilement éviter l'écueil d'un manichéisme que d'autres auraient exploité à fond : grandeur indienne, misère blanche.'ouvrage associe donc deux univers, dont l'un, l'univers indien, apparaît comme celui du rêve, et l'autre comme celui d'un cauchemar progressif. la fin, quand le grand-père meurt et que Abel se remet à courir, seul, martelant dans sa tête les mots d'un vieux chant Maison faite de Pollen, Maison faite d'Aube, semble une sorte de rédemption, peut-être une réconciliation de deux identités : il faut à l'Américain-Indien d'aujourd'hui retraverser ses origines pour arriver à survivre.


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© Olivier Delavault - Mars 2000.