Publié à l'époque du «Septennat» de la collection (1998), cet ouvrage est à la fois, dans l'entité «Nuage rouge», un point de repère doublé d'un point de recharge d'énergie dans l'itinéraire et le parcours éditeur/diffuseur/libraire/public.

L'Homme fait de mots, après plus de 70 titres parus dans la collection, était nécessaire : dans l'histoire de la publication des livres sur les Indiens - ou par eux, ce qui est ici le cas - c'était indispensable. Collusion, coïncidence dans le dédale de l'histoire de l'édition ; c'est en tous cas ainsi.

Imaginée, étudiée en 1989 par Olivier Delavault au sein de sa feu librairie « Indiens d'Amérique », (1988-1995) 11, rue Charlot à Paris 3ème puis 34, rue du Bourg-Tibourg à Paris 4ème à partir de 1992, la collection «Nuage rouge» est née de la rencontre d'une demande du public au sein même de cette librairie et du désir d'Olivier Delavault de reporter à la connaissance de ce public des ouvrages épuisés (on pensera ici à L'Homme qui a tué le cerf et Le Livre du Hopi de Frank Waters, Little Big Man de Thomas Berger, La Flèche brisée d'Elliott Arnold, Pleure, Géronimo de Forrest Carter, Les dieux dansent à Cibola, Les Zunis de Jean Cazeneuve, livre édité en 1957 dans la prestigieuse collection d'alors « L'Espèce Humaine » de chez Gallimard, créée par Paul Rivet ancien directeur du Musée de l'Homme) mais aussi de publier des inédits qui nécessitent alors une traduction. Ce qui amena les romans issus du patrimoine littéraire indien et les grands textes d'histoire et d'ethnologie de la collection. Ainsi naissent en 1990 les éditions du Nuage rouge, cependant, il fut jugé plus pratique - eu-égard aux coûts élevés - de transformer en collection chez un éditeur dont la structure permettait d'accueillir des projets nécessitant des achats de droits et des traductions, une petite maison d'édition qui existait au sein d'une librairie.
Signée en septembre 1990 aux Editions du Rocher sur les propositions du Sitting Bull Champion of the Sioux de Stanley Vestal, le Diné Bahané, Navajo Creation Story de Zolbrod et Le Livre du Hopi de Waters, le premier livre à paraître est arrivé au dernier moment, un ouvrage pas prévu, le Danse avec les Loups de Blake. Depuis cette collection des Editions du Rocher a connu un immense succès tant en France qu'en Suisse et en Belgique.

1998, c'est, comme pour faire un bilan, la publication de ce texte de Momaday. le Livre des Livres sur et/ou par les Indiens. Ce chef d'oeuvre, d'un de leur représentant les plus illustre, talentueux et charismatique, s'avère être la quintessence de tout ce qui s'est publié sur la question depuis le début du siècle ; que ce soit en matière de roman, d'histoire ou de sciences humaines. Cet ouvrage de Scott Momaday cristallise à lui seul tous les genres littéraires consacrés aux Indiens et cela sur les plans culturels, traditionnels, religieux, spirituels. Il avalise en tout cas, tous les textes de la collection dans laquelle déjà trois de ses livres ont été publiés.

N. SCOTT MOMADAY
L'HOMME FAIT DE MOTS
(THE MAN MADE OF WORDS)
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Danièle Laruelle

Scott MOMADAY, Indien kiowa, est essayiste, romancier, poète, dramaturge et peintre. Il a obtenu pour son roman House Made of Dawn (La Maison de l'aube), le prix Pulitzer en 1969. Professeur de littérature à l'Université de l'Arizona, il est souvent appelé à donner des conférences dans le monde entier.

QUELQUES LIGNES… « Dans la tradition orale, le silence est le sanctuaire du son. Les mots prennent toute leur vie dans l'abri du silence ; là, ils sont sacrés. »

« La tradition orale repose en outre sur le principe que les mots et ce qui est fait de mots sont évanescents. Un chant, une prière ou un récit est toujours à une génération de l'oubli. Le risque de disparition est permanent ; le langage ne doit donc jamais être pris à la légère. »

« Nous les Américains, devons de nouveau atteindre à une compréhension morale de la terre et de l'air. Nous devons vivre en fonction d'une éthique de la terre. L'alternative étant de ne pas vivre du tout. »

« A l'endroit où les mots et le lieu se rejoignent, on trouve le sacré. »

« Et là, à l'arrière-plan de mon esprit, je compris tout à coup que les choses essentielles en ce monde, dans l'univers, sont localisées - elles sont en place. Fixées à jamais dans leur nom. »

                    N. Scott MOMADAY
 

ARTICLES AMERICAINS, COMMENTAIRES.

La voix de Norman Scott Momaday est l'une des plus remarquable de cette génération dans le paysage littéraire américain. Qu'il décrive un coup de tonnerre dans le ciel ou le crépitement des sauterelles ici-bas, il chante des terres perdues et des destins encore inconnus.

L'Homme fait de mots est une oeuvre de sagesse spirituelle célébrant le fait que notre arbre a cessé d'être mort. Lorsque Momaday obtint le prix Pulitzer en 1969 pour son roman « La Maison de l'aube », les récits indiens commençaient tout juste à se distinguer sur le fond coloré de la littérature américaine. L'Homme fait de mots incarne le pèlerinage de Momaday dans un ouvrage qui, à travers des essais, des récits allégoriques, des souvenirs autobiographiques, montre comment l'auteur a été reconnu comme la première grande voix amérindienne de ce siècle. son exploration du langage, de la langue, de l'identité, Momaday évoque les récits émouvants de son grand-père Kiowa et de ses ancêtres, se souvient de son enfance passée en partie au Pueblo de Jemez, Nouveau-Mexique, et médite sur l'histoire et les rapports entre Indiens et Blancs tels que nous les avons hérités aujourd'hui.

Rassemblant trente-deux essais et articles, L'Homme fait de mots s'attache à façonner une définition de la littérature américaine encore inédite et explore une compréhension plus profonde des rapports entre l'humanité et le monde physique qu'elle habite. C'est un acte d'imagination remarquable, une concrétisation des mots et du sens qui, dans sa simplicité directe atteint à une rare profondeur.

« Les images, les voix, les gens sont mystérieux, évanescents, et brûlent d'invention tels des flammes contre le ciel nocturne. Car, derrière eux, il y a toujours l'artiste-auteur en personne, homme investi d'un pouvoir sacré. Une puissante médecine, un art puissant. »

The New York Times Book Rewiew.

« Le lien intense de Momaday à la nature brille à travers chaque poème.»

Los Angeles Times.

« Quelle palette sidérante - de cette puissance et de cette profondeur à ces merveilleux épigrammes humoristiques de deux lignes - tout simplement beau. »

               James Kincald.
 
 

L'HOMME FAIT DE MOTS
Essais, récits, textes.

Avec chaque nouvelle publication, depuis The House Made of Dawn (La Maison de l'aube) (Editions du Rocher, collection «Nuage rouge », traduit par Daniel Bismuth, préface d'Yves Berger, 1993), qui obtint le prix Pulitzer en 1969, Momaday confirme sa place de premier plan parmi les auteurs amérindiens. Ce recueil écrit de main de maître prouve plus que jamais qu'il n'est pas seulement un bon auteur indien, mais un grand auteur américain. Dans la première partie de ce recueil, il décrit les différences entre la tradition écrite européenne et la tradition orale des Indiens d'Amérique sur laquelle se fonde la littérature amérindienne. Dans la tradition orale, les mots ont une valeur sacrée :

« Celui qui n'a qu'une tradition orale pense la langue en ces termes : mes mots n'existent que par ma voix. Si je parle à la légère, je galvaude mes mots. »

Scott Momaday illustre cette tradition en choisissant chaque mot avec le plus grand soin. Ses mots ne sont pas « multipliés et dilués jusqu'à l'inflation » mais choisis pour un maximum d'effet. Les trois parties de ce recueil sont entièrement distinctes.

Intitulé « L'Homme fait de mots », la première illustre le caractère sacré des mots, de la langue et des livres. La deuxième, « Du lieu, essais », décrit la nature des lieux qu'il a visités, depuis la Russie, la France et la Bavière jusqu'aux Grandes Plaines d'Amérique et au Nouveau-Mexique de son enfance. La troisième, intitulée « Le Conteur et son art » est une accumulation de pièce brèves sur des sujets variés. Ces oeuvres sont émouvantes, provocantes, et merveilleusement écrites. L'article le plus long, « Morale de la haine des Indiens », traite de manière concise et bien sentie mais sans trace de colère les politiques indiennes bien intentionnées et myopes du gouvernement et les dégâts émotionnels qu'elle continue d'occasionner.

Dans l'article « Lieux sacrés », tout en méditant sur les lieux sacrés des Indiens, il évoque le débat bien américain sur la nécessité de préserver les sites naturels.

« Pour nous aussi, il est bon de toucher la terre. Nous et nos enfants avons besoin de pouvoir marcher sur la terre sacrée, ce lieu qui est la dernière demeure de tout ce qui vit. »

Peu d'auteurs écrivent avec autant de grâce et de majesté que Scott Momaday, et ces essais méritent pour le moins d'occuper les pages d'une chose qu'il tient pour sacrée : un livre.
 

L'HOMME FAIT DE MOTS
Alan Tack, Native Peoples.

Voici un livre sur les mots, sur l'imagination, sur la nécessité de rendre le sacré à la terre comme à nous-mêmes. Ecrits sur une période de quelques trente années, les essais, réflexions et anecdotes de ce recueil constituent une odyssée spirituelle et artistique - la quête qu'entreprend l'un des grands noms de la littérature américaine pour se redéfinir, examiner la nature de son art en tant qu'artisan des mots, et pour découvrir des lieux sacrés, sur terre comme en lui.

Son voyage le conduit non seulement à explorer le pouvoir des mots et de la tradition orale indigène d'Amérique, mais il éclaire aussi les dangers et les responsabilités inhérents à ce genre d'exploration. La quête de Norman Scott Momaday est une quête solitaire d'une portée universelle car, en s'efforçant de se réinventer, de s'imaginer en tant qu'artiste, il touche à certains aspects universels de la condition humaine.

Peintre, poète, professeur et dramaturge, romancier lauréat du prix Pulitzer, Momaday est connu de beaucoup comme l'une des principales forces qui contribuent à façonner la littérature amérindienne contemporaine. Certains se souviendront de lui comme l'auteur de House Made of Dawn (La Maison de l'aube, préface d'Yves Berger, traduit par Daniel Bismuth), The Way to Rainy Mountain (Le Chemin de la Montagne de Pluie, Editions du Rocher, « Nuage rouge » 1995, traduit par Philippe Gaillard), The Ancient Child (L'Enfant des temps oubliés, Editions du Rocher, « Nuage rouge » 1997, traduit par Danièle Laruelle). D'autres se souviendront plutôt de sa récente contribution en tant que narrateur à The West de Ken Burns pour PBS. Mais, dans le présent ouvrage, il apparaît comme un homme de lettres, comme l'homme fait de mots. Les textes du recueil lui permettent d'explorer trois types de relations capitales : sa relation aux mots, qui le définit le plus justement en tant qu'artiste et créateur ; sa relation à sa terre et à son peuple, enfin, sa relation aux lieux sacrés et solitaires qu'il porte en lui. Pour Scott Momaday, le choix de ces textes n'est pas le fruit d'un hasard car ils sont pour lui « les morceaux d'un tout, chacun étant un élément d'un motif complexe mais unifié ». Et il qualifie ces éléments de «facettes d'un prisme verbal,… motifs semblables aux constellations ».

Il a structuré le recueil de telle sorte que ses rythmes et ses thèmes se mêlent subtilement et traversent l'ensemble. L'auteur en ressort comme un homme d'imagination, qui redécouvre en permanence son travail, son identité et sa place dans un monde totalement transformé par rapport à celui que connaissait ses ancêtres Kiowas. Son voyage - et le nôtre - s'avère enrichissant et sans limites.

Scott Momaday divise ce voyage en trois étapes : « L'Homme fait de mots », où il explore le rôle du langage et de l'imagination dans la vision que nous avons conçue des peuples indiens et de l'Ouest américain ; « Des Lieux, essai », où il se rend en pèlerinage dans des lieux de pouvoir des traditions amérindiennes comme européennes ; enfin

« Le Conteur et son art », où souvenirs et anecdotes personnelles servent, presque à la manière des méditations Zen, à nous secouer pour nous faire reconnaître les forces qui nous unissent et nous séparent en tant que narrateurs et créateurs imaginants de nos propres vies.

Le voyage commence avec la préface dans laquelle Scott Momaday suggère que «L'imagination est l'aspect créatif du langage », et qu'elle nous permet « d'appréhender une réalité hors du commun ». Ce pouvoir imaginant informe chaque section du recueil. Dans la première partie, par exemple, l'auteur raconte l'une des premières histoires que son père lui ait narrée, celle du « Faiseur de Flèches ». Scott Momaday utilise ce conte bref pour souligner le fait que le langage détermine la réalité, qu'il comporte des risques et implique des responsabilités. Il explique que la tradition orale indigène d'Amérique incarne les aspects spirituels du langage qui unissent l'homme à la terre. De fait, Momaday affirme que le rapport entre l'homme et la terre est à la fois spirituel et moral. La force de ce rapport est à son tour conditionnée par la vigueur de notre imagination. Afin d'illustrer cette idée, Momaday raconte une expérience vécue alors qu'il écrivait The Way to Rainy Mountain. L'oeuvre touche à sa fin, et il imagine qu'il voit Ko-sahn, une vieille femme Kiowa qu'il a connue dans sa jeunesse. Il se voit lui parler, écoute ses chants et ses histoires et, finalement, il est surpris de la voir sortir des pages qu'il a écrites pour affirmer la réalité de son être au sein de son imagination. Ce souvenir constitue un témoignage émouvant de la puissance du langage et de l'imagination, et aussi de la force des liens qui nous unissent à notre terre natale et notre mémoire ancestrale.


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© Olivier Delavault - Mars 2000.